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Un journal pas intime

Tag: Afrique

Thaba (signifiant «montagne» en kwazulu natal)

Quand j’ai pris la décision de partir en voyage, je ne savais pas encore où j’irais.  Au départ, je ne partais pas pour la destination, mais bien pour le périple.  J’ai pensé à plusieurs endroits, mais trop d’accointances y étaient déjà allées.  C’est comme si par intérim, j’avais déjà trop vu et vécu ces endroits.  J’avais profondément envie que cette excursion soit complètement mienne.  J’ai, un peu aléatoirement, choisi l’Afrique.  Ce pays semblait être le parfait prétexte pour mes objectifs de dépaysement et de quarantaine.  Je n’y ai toutefois pas investi réflexion consistante.  La décision s’est prise, c’est tout.  J’allais en Afrique du Sud, voilà.  Lorsque j’en ai parlé aux gens autour de moi, une question que je n’avais pas anticipée se frappait constamment à ma décision: pourquoi l’Afrique?  Au début, chaque fois que la confrontation survenait, je m’étonnais que j’aie besoin d’un motif pour forcer une expérience de vie.  J’ai bien vite compris que c’était, en quelque sorte, un réflexe conversationnel.  J’avais donc à me trouver une raison à donner aux personnes qui manifestaient un intérêt, par automatisme de savoir-vivre ou non, à mon aventure.  Les éléphants.  Tiens.  J’aime les animaux?  J’admire ce pachyderme?  On les retrouve en Afrique? Touché.  Les éléphants!  La redondance cette réponse est devenue réelle ambition.

Voulant non seulement les voir, mais bien travailler avec et pour eux, d’ici, j’ai tenté de mettre en branle des contacts qui me permettraient ladite chose alors que j’y serais.  Rapidement, je constate qu’il est complexe de tisser des liens communicationnels avec ce qui peut être appelé l’autre bout du monde.  Sur place, il me fallut deux semaines pour que l’ami d’une amie me mette en contact avec un sanctuaire d’éléphants et une famille d’accueil.  Trois semaines plus tard, je commençais ma première journée.

Je me suis présentée au sanctuaire un peu à l’avance de l’heure entendue.  J’ai rencontré le propriétaire, certains employés, j’ai fait la visite des lieux, et nous avons conclu l’entente de mon séjour parmi eux.  Suite aux introductions, c’était – enfin – le moment de faire la connaissance des bêtes.  Celui qu’on me présenta comme le meilleur des entraineurs de la place m’amena aux éléphants.  En chemin, je le préviens : «je vais pleurer».  Je ne dis pas nécessairement que c’est chose faite, mais qu’il y a de très fortes chances que je réagisse émotionnellement.  «Ne vous en troublez pas.  C’est normal, j’attends ce moment depuis si longtemps.  Je suis ici, en Afrique, pour cela.»

Au pacage, je les vois au loin.  Le sentiment se rapproche du merveilleux.  L’entraineur en pointe un, me dit que c’est son préféré.  C’est Thaba, le seul mâle de la horde.  Il m’invite à chercher de la moulée.  Il l’appelle ensuite, calmement.  Presque comme un chuchotement.  Il m’explique l’interpeler ainsi pour éviter que les femelles nous entendent et nous rejoignent aussi.  Thaba bouge la tête.  Capte le son.  Se retourne tranquillement.  Doucement, il nous fait face et s’avance à tâtons vers nous.  Je sens mon cœur qui s’emballe.  En symbiose avec ses pas, ma joie et mon excitation s’intensifient.  À ce moment, plus rien ni personne ne compte.  Il n’y a que Thaba qui importe.  Il s’approche jusqu’à ce qu’il soit des nôtres.  L’entraineur me rassure, me dit que c’est ok pour moi de le toucher.  J’approche ma main, il me laisse faire.  Mes doigts se posent sur une peau sèche et charnue, sur sa trompe.  Quelques minces secondes plus tard, je larmoie.  Je le flatte de plus belle.  À chaque caresse, mes sanglots accroissent.  Je prends conscience de mon comportement, me retire, et me justifie auprès de l’entraineur.  Celui-ci ne tient pas compte de mes excuses et me demande de faire un pas de côté afin de me retrouver de l’autre côté de sa trompe.  J’exécute aussitôt.  Il me demande qu’est-ce que je vois entre son œil et son oreille.  Crédulement, je réponds voir de l’eau.  Il m’apprend qu’à cet endroit se trouve une glande lacrimatoire.  Je ne comprends pas.  Il m’explique que c’est là d’où les éléphants pleurent, que Thaba est empathique à mon émotivité et partage avec moi le fait de pleurer comme approbation de l’amour inconditionnel que je lui livre.  Je suis estomaquée.  Totalement sidérée.  Comment est-ce même possible que cet animal puisse si clairement détecter mon affection envers lui?  Comment est-ce possible qu’instantanément il fasse preuve de réciprocité?  À cet instant, le motif d’éléphants prend tout son sens.

Dans les jours qui suivent, j’apprends que Thaba est l’éléphant le plus problématique du troupeau.  J’apprends qu’il ne se laisse pas amadouer facilement.  Qu’après avoir vu des braconniers assis sur la carcasse de ses parents, il a des troubles de confiance envers les humains.  Difficile d’approche ou non, il a décidé de me léguer allégeance et je vais lui faire honneur.  Pendant mon passage au sanctuaire, je l’ai dorloté.  Je lui ai parlé, je l’ai cajolé, je l’ai gâté – carottes, poires, pommes : nommez-les!  À un point, lorsque j’avais investi assez de patience et d’énergie, il me reconnaissait.  Il venait à moi lorsque je scandais son nom.  Une fois, je marchais au loin, il me vit ou m’entendit, et se mit à courir vers moi, sans même que je ne l’ai interpelé.  Une autre fois, alors que je veillais sur lui, j’ai essayé quelque chose…  Je lui ai demandé de s’assoir.  Il procéda presque immédiatement.  Plus tard, les entraineurs, qui avaient été témoins au loin, m’ont fait part de leurs impressions, de leur étonnement.  Ils n’arrivaient pas à croire que j’avais créé un lien assez puissant avec Thaba que ce dernier me réponde.

Bien que j’aie vécu une panoplie d’épopées phénoménales là-bas, aujourd’hui, lorsque je me fais poser la question de pourquoi l’Afrique, c’est encore les éléphants qui prônent, et la réponse est d’autant plus authentique qu’elle ne l’était.

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Format poche

J’ai toujours adoré la littérature.  Je l’ai toujours prôné.  Je l’ai toujours mis sur un piédestal.  Dans une cloche de verre comme la rose de Belle et sa bête.

J’ai passé trois mois en Afrique.  J’ai assisté, entre autres, à des gens aux yeux brulés par l’acide, comme on voit dans Slumdog Millionnaire, afin de faire plus pitié quand ils quémandent.  J’ai mangé de la fécule de maïs, matin midi soir, pendant deux semaines, car la viande et les légumes ne se rendaient pas là où j’étais.

À ma grande surprise, une des choses que j’ai trouvée anormalement difficile à surpasser a été de me départir de mes livres.  Ils pesaient et gobaient trop de place dans mon sac à dos.  Imaginez : la petite blanche qui fait la réminiscence de papiers reliés abandonnés alors qu’un jour, une des radios locales a décidé que pendant 24h, elle émettrait un timbre sonore à chaque fois, qu’en théorie, un viol se produit en Afrique du Sud.  Cette journée-là, il y avait un timbre à chaque minute.  Un signal sonore à chaque soixante secondes.  Une fillette de plus à perdre sa virginité.  Une mère de plus à contracter le VIH.

Je connais les classiques de la littérature par cœur… Fahrenheit 451 et Montag. Orwell, 1983.  Le nez de Bergerac.  L’étranger qu’est Camus.  Jane Austen et Mr Darcy.

Pourtant, pas plus loin qu’au cégep, je la narguais cette littérature.  Quand venait le temps de lire ces romans, ces essais, ces recueils qui étaient mis à l’échéancier, je défiais l’exercice.  Je persistait à croire qu’une somme de X pages ne pouvait être si énigmatique.  Je ne les lisais donc pas.  Bien entendu, à l’époque, je blâmais le tout sur autre chose, sur cette excuse bidon qu’est le manque de temps.  Systématiquement, je m’informais au plus au de mes compétences sur lesdits récits.  J’appris par cœur les péripéties, les dénouements, les personnages, les contextes socio politique et culturel.  Quand venait le moment des comptes-rendus de lecture, j’excellais toujours.

Quand je rencontre un garçon et qu’il ne connaît pas Süskind, c’est un point de non-retour.  Lorsque je suis confrontée à un individu inconscient de l’apport de la putain d’Arcand, je fige.

À l’aéroport de Heathrow, avant d’avoir longtemps hésité à prendre Fifty Shades Darker,  je me suis procurer Life of Pi.  Hypnotisée, j’ai dévoré les quarante premières pages de Martel, après quoi j’ai malgré moi succombé à visionner le film dans l’avion.

Étonnamment, je ne juge pourtant pas être hypocrite.  Bien que je n’aie pas passé au travers les feuillets de tous ces auteurs, je les porte en moi.  Ils font partie de ma culture, de mon identité, du fondement de ma vision des choses.  Si je n’avais jamais eu vent de Coello, je serais fort probablement différente.

Considérant, je n’ai quand même pas le choix de me questionner…  Est-ce que j’adore la littérature en tant que telle ou ce qu’elle représente?

Je m’apprête à regarder On the road inspiré de Kerouac, coupable de faire dos à la muse en prose du long métrage.  Souhaitez-moi un bon film.