GP

Un journal pas intime

Nana

Je n’ai jamais eu le pouce vert.

À 15 ans, à un party rassemblant à la maison quelques filles de mon collège, j’étais naïvement soule et j’ai tué ma plante carnivore en lui donnant du Jack Daniels.

J’ai quelquefois essayé d’en faire grandir et fleurir.  Rares sont celles qui passent un été.  Elles s’épanouissent un instant pour mieux mourir.

Il y a deux ans, ma grand-mère paternelle est morte de l’Alzheimer.

Il y a aussi deux ans, nous avons appris que ma grand-mère maternelle souffrait également de l’Alzheimer.  Démence mineure chevauche démence majeure.  Lorsque la chance est au rendez-vous, elle est totalement elle-même, avec toute sa tête et la répartie qui vient avec.

Il y a trois ans, à Pâques, cette grand-maman maternelle m’a donné une plante.

Pour une raison que j’ignore, la plante vit toujours.

Je n’avais jamais vraiment prêté attention aux fantômes, aux esprits, à la providence.  J’en n’avais jamais senti la nécessité.  Il n’y a pas si longtemps, j’ai accepté de croire que les choses peuvent arriver selon une succession non fortuite, selon une concurrence d’événements un peu plus loin du hasard que l’esprit rationnel ne veut se le permettre.

Ma plante vit toujours et ma grand-mère aussi.
Elle fête son quatre-vingt-dixième la semaine prochaine – la femme, non pas la plante.

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De Greenwich à grégorien

Le besoin le développer des outils pour tenter de calculer le temps, pour se situer dans ce concept plutôt abstrait, se manifeste dès les premières civilisations.

Astres.  Bougies.  Sabliers.  Horloges.  Chronomètres.

C’est comme si l’humanité souffrait d’un TOC du temps : le saisir, le mesurer, le gérer.

Cette fixation provient peut-être de notre volonté à s’inscrire dans ce temps.  Se positionner face à lui, s’ancrer à lui, lui faire une cicatrice.  L’obsession découle peut-être aussi  d’un désir à trouver repère, à se créer une bouée.  En mettant au point une constante, il devient possible – et rassurant – de mettre en perspective l’infinité de conceptions subjectives, de perceptions personnelles de ce dit temps.

Quoiqu’il en soit, la relativité et la temporalité semblent fonctionner en paire.

Deux semaines de vacances : c’est trop peu.
Deux semaines de travail : c’est sans fin.

Salle d’attente d’hôpital.  Réponse d’auditions.  Panne de métro le matin d’une entrevue.
Le.        Temps.        Est.        Long.

Fin de semaine de camping.  Rendez-vous galant où ça clique.  Série télé préférée.
Letempspassetropvite.

Mi-temps.  Temps mort.  Ancien temps.  Temps des sucres.  Feuille de temps.  Temps modernes.  Moteur à deux temps.  À temps.  Tuer le temps.

Plus on passe de temps avec le temps, plus on prend conscience de sa fragilité, de sa versatilité, de son indécence, de ses caprices, de son insensibilité…

Plus on se rend compte que le temps a son propre agenda.

Seabiscuit

La paresse.
L’orgueil.
La gourmandise.
La luxure.
L’avarice.
La colère.
Et.
L’envie.

Parfois…  Je suis fainéante.  Je soupire de vanité.  Je mange une deuxième assiette de tacos.  Je pense au sexe anal.  Je laisse mes parents payer mon épicerie.  Je suis vraiment en criss.

La plupart du temps, un « j’aurais tu dû? » escorte le péché.  Moments coupables.  Minutes honteuses.  Est-ce que je m’en veux?  Devrais-je m’en repentir?  Non.  Pas de promis-juré-je-ne-le-referai-plus. Ce sont des choses qui arrivent.  Ce n’est pas monnaie courante donc c’est ok.

Et.
L’envie.
Partout.  Tout le temps.

Contrairement aux autres impuretés, l’envie est pour moi une transgression plutôt récente.

Plus jeune, j’étais un cheval de course.
Déjà que le cheval aime le labeur, lorsqu’en challenge, confronté à d’autres écuries, il se dépasse. Les compétiteurs sont des motivations, des poussées pour aller plus loin.
La convoitise se canalise en stimulation, en défi, en raison d’être.

Du galop, au trot, au pas.
Je ratatine sous le poids des exploits des autres.

Ma génération est au stade du moment magique où ça explose, ça foisonne, ça donne enfin quelque chose.  L’âge où tout est à conquérir.  Où le possible n’a pas de limite.  Les carrières se définissent et prennent de l’expansion.  Les visages que l’on traitait avec ignorance deviennent spéciaux et uniques car désormais connus.

Jument devenue poney.

Jockeys,  poste à combler : bride à changer.