HOCHELAGA MON AMOUR

par GP

J’habite dans un bateau de pirates où les chats de ruelles remplacent les perroquets. Où le monde parle comme de vieux marins qui en ont vu d’autres. Les fauteuils motorisés substituent les jambes de bois. La chasse au trésor se fait dans les friperies. Et moi, j’ai l’honneur de faire partie de cet équipage, avec mes tattoos et mon lexique de jurons salés.

Avant d’habiter le quartier, on me parlait de Hochelaga à coup de clichés et de stéréotypes. Au début, ça me faisait peur, comme si j’allais habiter dans une bande dessinée pleine de clopes et de loteries.

À la première visite de mon futur appartement, l’homme à tout faire du triplex et moi discutions. J’habitais alors Villeray: nid douillet où se côtoient gérontologie, start-up familial, et étudiants. Marchettes; poussettes; et Uqamiens en dettes. Surpris que je quitte ce quartier pour m’installer dans celui-ci, il me dit tout bonnement et plein d’une candide franchise : «Ah? Tu connais pas Hochelag’… C’est pas aussi pire qu’on dit. C’est pas pire pantoute, même. C’est bin safe dans c’te boute citte.» pausant un instant. «Mais va jamais passé Ste-Catherine. Ok? Tu m’as compris? La nuit, le jour, n’importe quand. Dépasse pas Ste-Cath ‘tu seule.» Mitigée, et pas tant rassurée, «je verrai bien par moi-même» me dis-je.

À peine emménagée, je suis allée faire des emplettes au Jean-Coutu d’Ontario. Alors que je regardais et comparais les petits bidules de plastique de soie dentaire individuelle, une dame m’accoste et me fait savoir : «Eille belle fille. Achète pas ça ici. 3,49$, c’est du vol. Y’a la même affaire à une piastre au Dollo d’à côté.» Ah, bin merci madame. «Fait plaisir, chère» et elle poursuivit son chemin dans les allées.

C’est là que j’ai compris.
Que c’est ça, ‘Chlag.
Simple. Vrai. Généreux.

À la base, je viens d’un tout petit patelin en campagne. Hochelaga me fait penser à ces villages. On se parle comme si on était des chums de longue date même si on ne se connaît pas. On s’entraide. On se fait du bien, entre étrangers. On peut aller au dépanneur en pyjama, sans avoir peur d’être happé par le jugement d’autrui. Parce qu’à Hochelag’ l’attitude générale qui règne est «qu’on chie tous par le même trou». Pas de pires. Pas de meilleurs. On a tous nos mœurs, nos manies, nos bibittes et, disons-le, on est tous un peu fuckés à notre manière. C’est un environnement franchement rassurant. Sécurisant, comme en famille.

Aujourd’hui, mes voisins et moi, on se passe d’la farine. En plus, on se fait goûter les plats cuisinés. On partage les bacs de compost. On déblaye le balcon de l’autre. Ça peut paraître banal, mais c’est précieux.

Je ne pensais pas pouvoir retrouver ce genre d’impression de collectivité au sein d’une grande métropole. Une communauté fière partageant un semblable sentiment d’appartenance à son adresse. Montréal, c’est pas ma ville. Mais Hochelag’, c’est MON quartier.

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