Jeunesse sénile
par GP
Le 20 juin prochain, j’aurai 20 ans. Le 20 juin prochain, j’aurai vingt ans et aujourd’hui, j’ai commencé à prendre des gélules de sulfate de glucosamine. La glucosamine en fait, c’est un sucre, dit aminé, qui s’implique dans la consolidation du cartilage. La posologie indique trois capsules par jour, une à chaque repas. J’ai présentement dix-neuf ans, et mes genoux font une symphonie en unisson avec les escaliers lorsque je grimpe ces derniers.
J’ai récemment pris connaissance de crevasses s’abandonnant sur mon front. De petits entonnoirs longs, étroits et horizontaux ont pris le haut de mon visage comme logis, zone désormais sinistrée d’une jeunesse sénile. Pour me réconforter, mon entourage me rassure que c’est parce que je suis expressive.
Mon organisme n’aime pas l’instabilité. Mon anatomie a de l’aversion pour les changements de saisons. Les articulations de mes mains se déshydratent. Mes narines piquettent. Pour y remédier, glycérine s’impose pour mes jointures et humidificateur ronfle la nuit afin de contrer les caprices nasaux.
Selon la moyenne établie, je suis au quart de mon espérance de vie. Je suis à la minime fraction de mon existence et je prends, à ce stade, trois comprimés au quotidien. Deux le matin, un le midi et deux le soir. Je regroupe contraception avec vitamine C et suppléments de ce qui s’étiquette en tant que carence.
Lorsque j’avais onze ans, un ami de la famille a dit que j’avais «an old soul». Une vieille âme. C’était sa façon à lui de souligner la maturité que je semblais propulser à cette phase prépubère de mon être.
J’ai maintenant presque le double de cet âge. J’ai dix-neuf ans, et j’ai l’illusion d’avoir sensiblement tout vécu. Parfois les gens me disent : «tu vas voir, t’es encore jeune!». Chaque fois, je reste perplexe. Je reste mitigée. Tiède. Les sourcils froncés et la moue au premier plan. Je ne suis pas convaincue. Je n’y crois pas.
Un coeur antique peuple mon torse. Un cerveau âgé est perché à la cime de mon corps. Des maux archaïques et une logique fossilisée constituent ma pensée poussiéreuse.
J’ai tout juste vingt ans, et j’embaume déjà les brèves années derrière moi. J’ai tout juste vingt ans, et je momifie l’embryon que j’ai déjà été.
Les phares du cycle humain sont brumeux pour moi. À quel âge est-il interdit de jouer à la marelle? Avoir le coeur jeune, est-ce un mythe ou est-ce une phase de régression initiée par la réalisation de la durée d’une biologie?
J’ai dix-neuf ans, j’ai des rides et ma mère est encore mon refuge. Je suis au débouché de l’adolescence et des peluches occupent encore une place fondamentale dans mon lit.
Je me suis toujours dit que je ne pourrais jamais être une de ces personnes qui vit jusqu’au centenaire. Je me suis toujours dit que j’allais probablement m’éteindre «jeune» en guise de punition d’avoir murie prématurément.
Aujourd’hui, je fantasme sur la soixantaine. Je me vois, lutter contre le temps et rire avec lui. Je me vois faire de l’arthrite et malgré tout, me pencher, craie à la main, afin de tracer l’asphalte de carreaux et de chiffres. Je m’imagine ensuite sauter à pieds joints dans l’innocence que j’ai eue à croire que la vieillesse s’acquérait à vingt ans.