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Un journal pas intime

Tag: garance

EST2010 ; Écriture dramatique1 – Travail de session

(ouverture du rideau, début de la pièce, toujours narrer au public)

Narrateur
Il est 16h55, en plein centre-ville montréalais.  Plus précisément, l’action se déroule au 650 rue Jean-d’Estrées appartement 2104.  C’est au vingt-et-unième étage d’un immeuble de  vingt-et-un étages.  C’est chez son père.  Nous sommes le 23 mai 2008.  La température maximale est estimée à 24.9°C, la température minimale à 12°C et la température moyenne, elle, à 18,4°C.  L’air ambiant de l’environnement premier dans lequel elle se trouve est donc de 20,6°C.  Le lever du soleil s’est fait à 4h16 ce matin-là. Le coucher du soleil, pour sa part, est prévu pour 19h27.  C’est un appartement qui a le titre de condo.  C’est une copropriété.  Quatre immeubles font partie de cette copropriété.  Il y en a un qui tient son entrée sur la rue St-Antoine O.  Le second est sur la rue Des Rivières.  Le troisième est sur la rue St-Jacques O.  Le dernier est sur la rue Jean-D’Estrées.  Cette dernière voie d’accès subit des travaux de réfection routière à l’automne 2007.  Ce projet consistait en la «reconstruction de trottoirs et [en la] réfection de la chaussée […], entre les rues Saint-Jacques et Saint-Antoine.»  avait établi  l’arrondissement Ville-Marie.  Le coût approximatif de ses travaux s’élevait à 230 000$.  L’année de construction de l’immeuble, dit jumelé, sur cette rue est 2006.  La superficie du bâtiment est de 2 817 pieds carrés.
Caractéristiques : Approvisionnement en eau : municipalité, revêtement : briques, énergie pour le chauffage : électricité, allée : pavée, particularités : ascenseurs et vue panoramique.

Fille
Nous sommes aux cinq huitièmes de la journée, au moment où les oiseaux sont tannés de chanter.  Si nous prenons le temps pour une matière calculable, je dirais que l’année est à moitié pleine.  C’est presque le solstice d’été.  Nous sommes au coeur of the little apple : Montréal.  Deux pépins sont en ce coeur, cloîtrés volontairement dans une maison.  Deux pépins dans un nid.  Un nid au centre de la métropole.  Ils siègent haut, hissés à la cime de l’édifice de leur foyer, près des avions qui passent.  Il fait tiède.  Tiède comme quand on a les mains un peu moites.  Tiède comme un gâteau aux bananes après 50 minutes de sa sortie du four.  Tiède, c’est tout.  Le soleil fait sa ronde habituelle.  Il joue à la corde à danser autour du globe.  Faut pas juger les passes-temps.  Le chez-soi, c’est celui du Papa.  C’est le mien.  Mon Papa.

Papa
C’est la fin de l’après-midi, il fait juste assez chaud.  J’ai fini ma journée et je suis avec ma fille à mon appartement.

(retour sur eux-mêmes)

Fille
Papa…

Narrateur (narrer, au public)
Lui, c’est Papa.  Il a 57 ans.  Il est grand et chauve.  Il est psychologue et réconfortant.  Il aime le tofu, mais ne recycle pas.

Papa
Oui ma chouette…

Narrateur
Elle c’est sa fille aussi appelée «Chouette».  Elle a 24 ans.  Elle est étudiante.  Elle est de grandeur moyenne.  Elle aime l’argent, les percussions, et la lasagne gratinée.

Fille
Papa… tu crois que je suis bipolaire?

Papa
Non.

Fille
J’aimerais être bipolaire.

(moment)

Papa
Et pourquoi cela?

Fille
Si j’étais bipolaire, je pourrais plus aisément déresponsabiliser.

(moment)

Fille
Je pourrais blâmer, du revers de la main, et yeux bâillonnés, tout.  Tout, sans pour autant en ressentir les conséquences.  Je ferais des crises sur mon lithium, des psychoses et je ne pourrai alors me reprocher d’agir comme j’agis.

Papa
Ce n’est pas une condition agréable être bipolaire.

Fille
Je sais.

(moment)

Fille
Papa…

Papa
Oui ma Chouette…

Fille
Je me sens toute seule.  C’est comme si, de plus en plus qu’on vieilli, de plus en plus qu’on est seul.

(Papa la regarde au dessus de ces lunettes et s’allume une cigarette)

Narrateur (narrer, au public)
Papa fume des Matinées king size issues de la société Imperial Tabacco.  Selon le livre « La Guerre du Tabac » par Rob Cunningham, publié en 1997 : « Impérial vend également Matinée, la troisième en importance des familles de marques de la compagnie, ainsi que les cigarettes Cameo, Peter Jackson, Avanti et Médallion. ».

Fille
Tu comprends?  Je sais pas… C’est comme si, plus on grandit, plus on réalise à quel point on est fondamentalement seul.  On dirait que peu importe ce que je puisse faire, je suis en quarantaine.  Je suis solitaire, mais pas par choix.  Je suis seule et… je suis vide. (temps) Mais pas le vide cliché là.  Vraiment vide.  Comme si mes tripes étaient en vacances et que mes veines s’étaient déshydratées.  Je sais pas Papa…  Je trouve ça difficile.  On ne peut pas se fier sur personne.  À part nous me diras-tu… Mais c’est con.

Papa
Ma chouette, la solitude c’est comme l’expérience.  C’est la chose que tu as 2 secondes après en avoir de besoin.

Fille
La chose qui me fait le plus peur ça serait de me retrouver, dans une pièce close, blanche, sans artifices : seule.  Être confronté à moi-même pendant des heures.  Ne pas savoir comment agir avec moi ou comment me traiter.

Narrateur
Souvent, par moments mitigé, Papa se lève, sans dire une parole, et va se chercher soit :

.         .           a)            une bière et des noix d’acajou

.         .           b)            un verre de lait et des biscuits

Une corrélation entre son humeur et son alimentation n’a pas été faite. Il revient à la table après avoir laissé sa fille en brouillon.  S’assoit.

Papa
T’en veux?

Fille
Non merci…

(temps)

Papa
Je me suis réveillé aujourd’hui, ce matin, vers 6h40.  Je me suis levé et me suis cogné l’orteil sur le coin du lit de bois massif.  Ta belle-mère a ri.  J’ai sacré.

(narré au public)

Fille
Fuck.

Papa
Calice de tabarnack.

(retour sur eux-mêmes)

Papa
Tu t’es déjà cogné l’orteil sur le coin du lit?

Fille
Oui…

Papa
Alors, tu comprends ce que j’ai vécu?

Fille
Oui.

Papa
Voilà.  Eh bien, c’est toujours comme ça.  On saisit.  On conçoit.  Mais on ne peut pas vivre exactement, aux variables près, ce qu’un autre vit.  Tu ne peux pas sentir le pouls qui a éclaté dans mes orteils et la chaleur qui a envahi ma peau.  Même si je te le décris, le plus précisément possible, ce sera toujours toi qui transformeras l’idée et l’évènement dans ta tête.  Le caractère récurrent d’évènements communs amène l’empathie ou la compassion.  Toutefois, la subjectivité construit un fossé d’angles de vue infinis.

(narré vers le public)

Narrateur
Raymond Queneau, écrivain français, dramaturge, et membre actif de l’OuLiPo, publia en 1947 un ouvrage intitulé «exercices de style».  Dans cette oeuvre, Queneau raconte la même histoire de 99 façons différentes.

Papa
«Everything is in the eye of the beholder» – Sadi Ranson-Polizzotti.

(retour sur eux-mêmes)

Fille
Papa, je comprends ce que t’essaies de m’expliquer, mais quand même, ce n’est pas un peu triste?  Ce n’est pas dommage de réaliser, à un moment ou un autre, qu’en fait, personne ne saisira jamais vraiment qui on est.

Papa
C’est faux.  Plusieurs gens auront la prétention de croire qu’il te saisiront, pour ce que tu es vraiment.  Pour ce que tu es vraiment pour eux.

Fille
Moi j’aime pas ça.  Je n’aime pas savoir que peu importe, je serai toujours la seule à me comprendre.  Et même là… J’ai l’impression qu’il y a une multitude de points de vue qui me forme.  Je ne suis pas un organisme unicellulaire.  Une cellule, un fonctionnement.  Pas d’osmose, ni de cycles, de sublimation, de transformation.  Toute ma constitution à l’unisson pour ma seule et unique cellule.  Ça serait plus simple.

(narré au public)

Narrateur
Sous-ensembles d’élément Fille1 :
Fille 1.A. : douce, généreuse, gentille, compréhensive.
Fille 1.B. : vulnérable, sans cuirasse, susceptible.
Fille 1.C. : caustique, froide, trop confiante, rigide.
Notez bien : l’ordre n’est qu’une façon de les classer.  Aucune conclusion à tirer de la suite non logique de leur archivage.

Fille (s’adressant au narrateur)
J’ai bien plus de facettes que ça.

Narrateur
C’est une synthèse.

Fille
Une synthèse falsifiée.

Papa
Ma Chouette, c’est une vulgarisation, c’est tout.

Fille
Une banalisation tu veux dire!  Papa, t’es pas d’accord avec lui?

(Papa la regarde de nouveau au dessus de ces lunettes et s’allume une autre cigarette)

Papa
Voilà ma Chouette… C’est ça qu’il faut que tu comprennes…  Lorsque tu arriveras à être authentique avec toi-même, de façon intrinsèque, peu importe, ce que les gens affirmeront ou penseront de toi t’affectera beaucoup moins.

Fille
Oh… D’accord.  Je me plongerai, dès ce soir, le nez dans un ouvrage ridicule.  «Bouillon de poulet pour l’âme» ou une autre niaiserie du genre. (au public) Je vais la manger au complet la carcasse du poulet s’il le faut. (retour sur eux-même)

Narrateur
La compagnie Lipton a lancé en 1941 sa soupe poulet et nouilles.  Ingrédients : nouilles de blé, sel, extraits secs de sirop de maïs, gras de poulet, amidon de maïs, protéine de soja/maïs/blé hydrolysée, glutamate monosodique, huile de palme modifiée, huile de canola, poulet cuit séparé mécaniquement et déshydraté, poudre d’oignon, arôme, épice et extrait d’épice, persil séché, guanylate disodique, inosinate disodique, acide citrique, extrait de levure et sulfites.  Peut contenir des traces de substances laitières.  Cette soupe est reconnue pour son effet réconfortant lors des courtes quarantaines de grippes.
En 1993, la compagnie Health Communications, Inc. se met a publier de la soupe pour l’âme.  Ce sont les éditions Béliveau qui en fait la traduction et le publie au monde québécois.  Leur slogan : «88 histoires qui réchauffent le coeur et remontent le moral».

Fille
Ça ne réchauffe pas le coeur.  Ça l’anesthésie.  Ça l’endort.  Ça le bourre de phrases préconçues qui, selon des études hippies, sont supposées, nous redorer l’estime.  C’est pas en prenant un bain dans du spaghetti et des ailes de poulet que je vais soudainement me sentir harmonieuse avec mon alter ego intérieur.

Papa
Franchement.  Relativise un peu.  Il y en a pour qui ça fonctionne.  D’autre, c’est du jazz, ou un après-midi de soleil.  Certains c’est un bon repas copieux entre amis et pour d’autre, un vieux classique en noir et blanc.  Si pour toi le Lipton intellectuel ne marche pas, vas-y pour autre chose.

Narrateur
Moi je n’en ai pas besoin.

Fille
Bravo.

Narrateur
Je n’ai pas besoin de catharsis.  Je n’ai pas besoin d’extériorisation, de libération émotionnelle.  Rien n’est refoulé.  Rien n’est traumatisé.  C’est les gens faibles qui en ont besoin.

Fille
Depuis quand t’as une opinion toi?

Narrateur
Depuis que tu badines sur ton sort.

(moment de silence)

(narré au public)

Narrateur
Il est 17h17.  Vingt-deux minutes de conversation ont été écoulées.

Fille
Il devrait avoir une convention qui fait que ce n’est que l’ébène qui a de la bile noire.

Papa
L’impuissance d’un père envers sa fille est la torture la plus efficace.

Narrateur
Il est 17h19.  Dans deux heures et huit minutes, la réalité frappera de nouveau.  À 19h27, tel que prévu, la Terre ne s’arrêtera pas de tourner, n’arrêtera pas de tourner autour des angoisses et le soleil se couchera.

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Article recyclé étant refusé par une revue littéraire

7h15 :  Air agressant.
Snooze 1 : L’hostilité typique au chant du coq m’amène à percuter l’objet destiné à me réveiller.  Je me retourne.  Je fais l’étoile.
Snooze 2 : Sortant brusquement mais pas complètement de mon sommeil, ce matin-là cousin du coma, je révise mentalement ce que j’ai à faire. «J’ai amplement le temps.»  Voilà, je reprogramme l’alarme.
Snooze 3 : Un sentiment de culpabilité m’envahit.  Je pense à une excuse valable :
carpe diem.  «Parfait.»  Je fais la cuillère avec ma douillette.
Snooze 4 : Calcul mathématique des aiguilles du réveil faussé par la chassie.
7h45 : «Fuck.»

Pied gauche frappe le sol suivi de son acolyte.  Assise sur le cadre de mon lit, je soupire et je m’efforce.  Je suis debout.  Titubant sous la charge de la verticalité, j’emboite le pas maladroit du matin.  Automatismes du quotidien s’enchaînent : je vacille le long du couloir, agrippe la rampe, et descend inhabilement l’escalier.  Le comptoir de la cuisine m’accueille,  et le tabouret m’applaudit d’y être arrivée.  Haltes à l’armoire et au micro-ondes avant de m’installer café en main.  Stable et fessier coller au cuir, je suis accoudée au bar des lèves-tôt.  Rituel caféine et nicotine.  En moyenne une gorgée et deux puffs la minute.  Je fixe les électroménagers et au moment où la post-aube me semble vivable,  l’ensemble des chiffres verts grippés du four me rappellent à l’ordre : à la douche.  Je me déshabille et mes poils font les soldats, dressés à cause de la fraîcheur de la pièce.  J’entre et simultanément l’eau disloque ma peau.  Le gel et le shampoing menacent mes pores abrutis.  Averses diluviennes finies, la serviette m’enrobe et annonce la concrétisation de mon éveil.  Je dévale vers ma chambre, prends trop de temps à finalement choisir ce qui me vêtira, galope vers le séchoir et encastre les divers éléments de ma routine.  J’arrive finalement à être réciproque avec l’assiduité de Greenwich, il est 8h30 et je suis prête.  Je défonce la porte, parcours un itinéraire concis et y arrive.  Je monte à bord tout en précisant la destination.  L’homme au volant me regarde.  On se sourit.  Le soleil est là et s’allonge sur ce qu’il peut trouver.  L’engin gronde et rote.  La ceinture de sécurité s’enlace autour de moi, sablant ma clavicule et faisant la moue sur mon bas ventre.  Je trône au siège passager.  La banquette arrière me donne toujours l’impression de manquer quelque chose.   Les cadrans s’activent.  Les aiguilles tanguent.  Le GPS se donne raison d’être.  Le compteur débute son avarice et affiche les cents.  Mise de départ : 150$.  Il semble y avoir du trafic sur la bande publique, les voix s’enchaînent.  Les ondes se coupent.  L’hautparleur tousse un flux de consignes disparates mais à la fois assorties.  Le conducteur radote des modalités, s’y succède rapidement des tactiques directionnelles en jargon du métier.  Il fait tiède.  Tiède comme quand on a les mains un peu moites.  Tiède comme en dessous des genoux l’été.  Tiède comme un pain aux bananes après cinquante minutes de sa sortie du four.  Tiède, c’est tout.  En plus, ça sent le renfermé.  Timidement, mais quand même.  Ça sent le dépanneur chinois mélangé avec un magasin de meubles.  J’ouvre la fenêtre.  Juste un peu.  La fissure entre l’habillage de l’appareil et la vitre laisse entrer du vent.  Le vent aussi est moite.  Toutefois il est froid.  Frais du moins.  Ça me fait bâiller.  Cause-conséquence : mes tympans se décontractent et mes oreilles débouchent.   Il est 9h et vingt kilomètres ont déjà été parcourus.  4,977$/litre/km.  Nous sommes à quatre milles pieds du sol.

Papa : Golf (tiret) Alpha-Wisky-Romeo-November en direction sud vers Orford.
Fille : Nous sommes juste à Orford ?
Papa : Je te l’ai déjà dit ma chouette, l’avion est un moyen de transport rapide pour les gens pas pressé.

Nous sommes des pétasses.

Une nuance importante éclate entre ce que l’on veut faire et ce que l’on doit faire.  Image trop utilisée de la dualité des réactions affectives et du raisonnement.

Matière grise VS muscle cardiaque.
À l’extrémité gauche du ring, pesant pour et contre, avec une moyenne impressionnante de victoires cohérentes : la logique.
À l’extrémité droite du ring, pesant relativité et émotions, avec un indice étroit de succès : l’affectivité.

Le combat s’annule presque systématiquement.  Les variables sont incessamment circonstancielles et infinies.

Lorsqu’un dilemme s’incruste, on nous conseille souvent au final, d’être fidèle à soi-même.  Guidance redondante et prémâchée.  La routine de l’embarras suit alors son cours : on ingère et digère les paramètres, les conséquences afin d’en arriver à un résultat que l’on conclue être juste et adapté.

Être parfaitement conforme à soi, c’est d’exception.  On aboutit plus souvent qu’autrement, à faire des compromis et des accommodements arbitraires.  On se conduit plus souvent qu’autrement à faire la pute.

On prête son authenticité aux normes contre la rémunération d’être un bon vivant.

C’est quoi le taux de cette prostitution légale?

«J’aurais dû ben dû donc dû farmer ma grand’yeule» – Le Chant Du Bum, Richard Desjardins

UQAM. Programme 7604.  Cours EST420B : exercice public.
Il y a plusieurs semaines, un exercice nous a été proposé par notre enseignant en vue de la journée internationale du théâtre ayant lieu, cette année, le 27 mars.  Nous pigions tour à tour dans un chapeau le nom d’un ou d’une camarade de classe.  Nous devions par la suite, en nous assurant de garder l’anonymat, proposer à notre candidat(e) une courte performance qui le ou la fait sortir de sa zone de confort.  Un genre de formule de défi.  L’exercice n’a pas eu lieu suite aux divers incidents et répercussions de la grève.

Mercredi dernier, je suis allée trinquer avec quelques bonnes connaissances de mon programme.  Les lentilles teintées s’accostaient entre les yeux, l’houblon roux caressait notre œsophage alors que les cigarettes se faisaient griller les unes après les autres.

Sophie T.D. : 5”7, ±115 livres, cheveux courts cendrés, 20 ans et en crise d’adolescence. Elle me dit : «Garance, je sais ce que je t’aurais fait faire si je t’avais pigé.  Je t’aurais fait taire.  Cinq minutes à tenir ta langue, là, devant la classe.  Dans la lumière, sans barrière.  Habillée et complètement nue à la fois.»

La parole est pour moi un outil facile.  J’étreins la déclamation. Je l’utilise comme camouflage.  C’est mon fard.  Il couvre mes faiblesses et bourre la sourdine.  C’est en fait quand je me tais, que je suis sans défense.  Les mots bâillonnés me laissent à découvert.  L’illusion proposée par un discours voile mon impuissance.

Me museler, c’est me présenter.  Débiter, c’est me déguiser.
À faire : Opérer un mutisme.

Il est dit que l’action est plus forte que la parole.  Le poids d’une conduite transcende le volume d’un lexique.

Cela dit, si je ne nourris pas le dialogue avec vous, ne soyez pas offusqués.  Je ne suis pas de mauvaise foi.  Je vous offre mes non-dits en hors-d’oeuvre de ma fragilité.

Ziggy. Destin. L’or des hommes.

Je suis présentement en lecture de « L’énigmatique Céline Dion» de Denise Bombardier.  Ma mère m’a donné ce livre en guise de cadeau de fin de grève.  Céline, je l’ai haï.  Je l’ai envié.  Aujourd’hui, j’ai tout simplement assumé.  J’ai assumé l’incompréhensible ferveur que j’ai quand je l’écoute.  Ses syllabes nasillardes me font voyager.  Elles m’emportent en formule toute comprise au sein d’un cachet déjà vu, mais à la fois singulier.

Mme Bombardier dit qu’elle fait l’analyse sociologique du phénomène «Céline» dans son ouvrage.  À mon point de vue, c’est absurde.

Céline c’est une icône.  Céline c’est une référence.

Céline Dion, c’est une manifestation complète et incompréhensible.  C’est une cible facile.  Céline Dion c’est une formule mythique.  C’est un emblème que l’on ne pourra jamais saisir totalement.

J’estime que c’est mieux ainsi.  Gardons-nous une figure forte, stable et intouchable.  Gardons-nous un pilier sociologique.

Des fois, c’est mieux de pas trop disséqué.  Des fois, c’est mieux de préserver l’illusion.  Le fantasme dépasse toujours nos attentes, contrairement à la tangibilité de l’instant.  La rationalité est parfois mieux placée sous terre.  Mentez-nous pour qu’on vive dans l’abstraction.  L’utopie, c’est la voie facile, mais si bonne à goûter.

Du Jack ou du love : du pareil au même

Le deuil se résume en cinq étapes soit : le déni, la colère, la tristesse, la résignation, et l’acceptation. On dit du deuil que c’est une crise provoquée par un changement radical au sein d’une situation qui avait été établie jusqu’à ce stade.

On porte du noir, on en broie tout autant.

Le deuil, c’est une désintoxication. C’est une diminution ou une suppression du besoin de la dépendance. C’est l’anéantissement des symptômes suivi d’un réflexe de permanence de l’objet. Le deuil, c’est un sevrage. C’est d’arrêter son appartenance à une substance toxique.

La fin de semaine dernière, j’étais au domaine parental. Le soir venu, je me suis momifiée dans des draps qui sentent la lessive et le réconfort. J’ai mal dormis. J’étais gymnaste et insomniaque. Je faisais des barils, des tonneaux dans mon lit. J’avais la nuque en sueur et le sang prompt. Mes paupières brandissaient leur désarroi et l’impatience de ne même pas pouvoir sommeiller me rongeait. Pensez aux clichés de l’inconfort, je les personnifiais.

Pour l’alcool et la drogue, il y a des centres. Des manoirs. Il y a des refuges pour accélérer et encenser le processus de désaccoutumance. Des programmes sont coud sur mesure et ajusté aux faiblesses près.

Pour le deuil, il a soi. C’est seul que l’on porte le cortège. Toutefois, contrairement à la désintox, ici, la vodka, on y a droit.

3…2…1… Ça tourne.

Je n’aime pas enfouir et cacher. Je n’aime pas dissimuler. Je montre. J’exhibe et je déploie.

Dernièrement, on m’a dit que je vivais ma vie comme au cinéma. Que j’avais besoin de me sentir au grand écran afin que les choses prennent et aient du sens.

Pourtant, je n’ai ni script ni caméra. Ni plateau, ni tarif.

Il est vrai que je chéris d’être en présence d’un public. Je réussis ainsi à valoriser, s’il y a lieu, ma transparence dans le regard et l’écoute de l’autre. Les applaudissements sont une prime qui vient après la performance. Toutefois, les acclamations ne sont pas conditionnelles à une réalisation personnelle.

Je tente de faire du théâtre. Je l’étudie, et quand j’en ai le privilège, je l’incarne, je l’interprète. Mon entourage, plus précisément les individus qui n’ont pas une proximité ou une ouverture adéquate à mon égard, croit que j’exécute mon karma en fonction d’une ovation future. Je fais donc le lien rapide que le «métier» de comédienne engendre des terrains flous où les masques et les répliques se confondent pour eux sans encombre à ma personne.

Et si j’étais biochimiste? Si j’étais médecin ou astronaute? Les analyses partielles posées sur moi seraient-elles renversées?

L’humain a besoin d’être approuvé. D’autres diront d’être aimé. L’être que nous sommes régit ses comportements autour de sa validation.

Étant comme je suis, j’aime donc tout autant l’approbation.

Je montre. J’exhibe et je déploie. C’est moi.

Vous n’aimez pas? Changez de canal tout simplement. Allez voir une autre programmation. Je resterai à l’affiche, gratuite et disponible, ni pour un Jutra, ni pour un Oscar.

Jeunesse sénile

Le 20 juin prochain, j’aurai 20 ans. Le 20 juin prochain, j’aurai vingt ans et aujourd’hui, j’ai commencé à prendre des gélules de sulfate de glucosamine. La glucosamine en fait, c’est un sucre, dit aminé, qui s’implique dans la consolidation du cartilage. La posologie indique trois capsules par jour, une à chaque repas. J’ai présentement dix-neuf ans, et mes genoux font une symphonie en unisson avec les escaliers lorsque je grimpe ces derniers.

J’ai récemment pris connaissance de crevasses s’abandonnant sur mon front. De petits entonnoirs longs, étroits et horizontaux ont pris le haut de mon visage comme logis, zone désormais sinistrée d’une jeunesse sénile. Pour me réconforter, mon entourage me rassure que c’est parce que je suis expressive.

Mon organisme n’aime pas l’instabilité. Mon anatomie a de l’aversion pour les changements de saisons. Les articulations de mes mains se déshydratent. Mes narines piquettent. Pour y remédier, glycérine s’impose pour mes jointures et humidificateur ronfle la nuit afin de contrer les caprices nasaux.

Selon la moyenne établie, je suis au quart de mon espérance de vie. Je suis à la minime fraction de mon existence et je prends, à ce stade, trois comprimés au quotidien. Deux le matin, un le midi et deux le soir. Je regroupe contraception avec vitamine C et suppléments de ce qui s’étiquette en tant que carence.

Lorsque j’avais onze ans, un ami de la famille a dit que j’avais «an old soul». Une vieille âme. C’était sa façon à lui de souligner la maturité que je semblais propulser à cette phase prépubère de mon être.

J’ai maintenant presque le double de cet âge. J’ai dix-neuf ans, et j’ai l’illusion d’avoir sensiblement tout vécu. Parfois les gens me disent : «tu vas voir, t’es encore jeune!». Chaque fois, je reste perplexe. Je reste mitigée. Tiède. Les sourcils froncés et la moue au premier plan. Je ne suis pas convaincue. Je n’y crois pas.

Un coeur antique peuple mon torse. Un cerveau âgé est perché à la cime de mon corps. Des maux archaïques et une logique fossilisée constituent ma pensée poussiéreuse.

J’ai tout juste vingt ans, et j’embaume déjà les brèves années derrière moi. J’ai tout juste vingt ans, et je momifie l’embryon que j’ai déjà été.

Les phares du cycle humain sont brumeux pour moi. À quel âge est-il interdit de jouer à la marelle? Avoir le coeur jeune, est-ce un mythe ou est-ce une phase de régression initiée par la réalisation de la durée d’une biologie?

J’ai dix-neuf ans, j’ai des rides et ma mère est encore mon refuge. Je suis au débouché de l’adolescence et des peluches occupent encore une place fondamentale dans mon lit.

Je me suis toujours dit que je ne pourrais jamais être une de ces personnes qui vit jusqu’au centenaire. Je me suis toujours dit que j’allais probablement m’éteindre «jeune» en guise de punition d’avoir murie prématurément.

Aujourd’hui, je fantasme sur la soixantaine. Je me vois, lutter contre le temps et rire avec lui. Je me vois faire de l’arthrite et malgré tout, me pencher, craie à la main, afin de tracer l’asphalte de carreaux et de chiffres. Je m’imagine ensuite sauter à pieds joints dans l’innocence que j’ai eue à croire que la vieillesse s’acquérait à vingt ans.